Belphegor

Genre : drame archéologique

Fiche technique

Revue : Patrick Marcel

Bon, l'histoire: tout commence en 1935, quand un égyptologue découvre une tombe perdue, ainsi que la momie traditionnelle fournie en cadeau Bonux, et décide de la ramener au Louvre. Avant d'aller plus loin, signalons que l'intro annonce parfaitement ce que sera le film. On pourrait déverser des bidons d'extrait de MAISON DES DAMNES dans les veines de cette scène, sans parvenir à lui faire exprimer un atome d'ambiance, d'atmosphère, d'âme: la tombe, le savant et son "guide indigène" sont nickel, fraîchement bâtis/ habillés/repeints, y a pas un grain de poussière, les couloirs de la tombe sont plus larges, spacieux et bien éclairés que le tunnel de métro moyen. Il y a des tas de pubs de parfum qui sont moins propres et plus crédibles que ce tombeau perdu. Et peu de fouilles aussi peu fréquentées que celles-ci, où apparemment n'ont oeuvré que nos deux personnages - et pas beaucoup, sans doute, vu qu'ils semblent sortir de chez le teinturier. Bref, c'est un décor bidon, et on déprime déjà.

Ca se poursuit par un voyage maritime où tout l'équipage se suicide en trente secondes, au rythme d'une narration qui a hâte de se débarrasser de cette corvée pour enfin montrer Sophie Marceau. Le voyage des damnés est tourné là aussi dans des décors javellisés dignes d'un AU THEATRE CE SOIR pâlichon.

Ensuite, forcément, ça va pas mieux. Au Louvre, en faisant des travaux de réfection, on découvre qu'une momie dans son sarcophage traînait dans un coin depuis trente ans. Oh, stupeur, c'est une momie où qu'y a pas son nom dessus! On fait donc venir une Anglaise spécialisée dans la détection (parce que l'équipement ultrasophistiqué du Louvre - cocorico! - les Anglais, y-z-ont pas, mais ils restent très forts en détection purement animale). Et pendant qu'on l'examine, l'âme de la momie se détache en catimini de son corps et va vadrouiller. Elle s'empare du corps replet de Sophie Marceau, qui aussitôt, la pauvre, se trouve investie de dons terrifiants: vêtue d'une robe noire style "Jean-Paul Gaultier fait la Mecque", elle fait du skate ou joue à l'hélicoptère humain dans les salles du Louvre, interprète Beep Beep et le Coyote avec les gardiens, vole des bijoux égyptiens et fait sonner les téléphones en s'en approchant.

Ca nous angoisse beaucoup, comme vous pouvez l'imaginer.

Elle fait aussi claquer les ampoules par camions entiers (heureusement que son petit ami est électricien!). Elle provoque également des hallucinations chez les gardiens rigolos qui s'approchent de trop près, et ils se suicident à chaque fois bêtement. On ne sait pas trop si c'est vraiment pour faire peur ou pour faire rire, vu qu'on est plutôt coincé sur l'option "pour se faire chier".

Ah, oui, elle fait aussi se lever des orages à chaque fois que la police la cerne, ce qui rend tout de suite les scènes plus dramatiques. Enfin, on va dire ça, quoi...

Ca ne peut plus durer.

Pourtant si, le film a commencé depuis déjà une demi-heure et on s'emmerde ferme. Le fantôme est omniprésent - ou du moins trop visible, demi squelette jaune lumineux qui passe son temps à flotter en l'air en tournant autour de gens qui ne le voient pas. Angoisse: zéro. Arrive Michel Serrault, qui fait son numéro de fondu pas commode de service, et ridiculise tous les effets numériques du film par le seul caractère absolument horrifiant de son nez défoncé (c'est dingue: pourquoi il ne se fait pas opérer? Je n'arrive plus à voir ses films, je suis obnubilé par ce nez enfoncé). Il se réserve aussi la seule autre scène vraiment terrifiante du film, celle où il semble un instant que lui et Julie Christie vont faire l'amour devant nous pendant que "California Dreamin'" joue en fond sonore. Par chance, un nouveau passage de Belphégor en skate les arrête avant l'irréparable.

Le film est dépourvu d'ambiance, de poésie et d'intérêt à un point qui frise l'exploit sportif. Le scénario enchaîne les découvertes improbables et les révélations creuses avec un professionnalisme terne. La spécialiste qu'on a fait venir de Londres pour enquêter sur la momie anonyme donne un cours à la Sorbonne, comme ça, sans raison, rien que pour permettre une scène vaguement didactique. Raffinement dans le n'importe quoi, ce Belphégor-ci ne s'appelle d'ailleurs même pas Belphégor, puisqu'il est égyptien.

La mise en scène est d'une platitude consternante. On peut apprécier les très beaux décors du Louvre et de la Pyramide, plus souvent qu'il n'est besoin. Ca meuble. Les dialogues ressemblent à une comédie de Gérard Oury (pas drôles et faussement branchés) et en effet, c'est bien Danièle Thompson qui a commis ça. Malgré les multiples réflexions pétillantes d'esprit qu'on s'échange à tout bout de champ, ça n'est pas marrant. Mais c'est pas grave, parce que ça n'est pas non plus effrayant, ni passionnant. Il y a des touches carrément barrées à l'ouest, par exemple cette "reconstitution" en noir et blanc de quelque chose qui pourrait être le feuilleton-culte bien connu, un machin où le Belphégor porte un masque digne d'un super-héros japonais; ou ce "clin d'oeil final" où l'exorcisme égyptien libère des fantômes dans toutes les oeuvres d'art du Louvre, sans raison vraiment cohérente, rien que pour montrer qu'on peut faire des effets spéciaux numériques comme les Américains, alors qu'il aurait été plus efficace et moins coûteux de prouver qu'on pouvait écrire un scénario correct. On se pose des questions sur la santé mentale du metteur en scène, et sur la nature du machin qu'il a fumé pour avoir des initiatives aussi déplorables.

Pour le reste, tout le monde se balade la nuit dans le Louvre comme dans un moulin; après avoir été repéré par les caméras de surveillance, on peut ensuite facilement échapper aux gardes qui ne songent plus à mater leurs écrans et se font semer au détour de la première Victoire de Samothrace venue; on se fait une collection des bijoux égyptiens nécessaires à un exorcisme (heureusement, tous dans les collections du Louvre) au rythme d'un par nuit, parce que récupérer les sept d'un coup en une nuit, ça serait beaucoup trop facile et qu'est-ce qu'on ferait pour tenir le reste du film?

Sophie Marceau est léthargique, Diefenthal est naturel mais pénible, Patachou est sympa mais disparaît vite, Balmer est mou, comme d'habitude, Julie Christie a dû abuser de l'herbe qui rend niais. Juliette Gréco est bien gentille de faire une apparition fugitive dans ce machin. La musique fait des efforts dans la couleur locale égyptienne, mais y a pas de miracle.

La série reste insurpassée. Ce BELPHÉGOR est un navet au sens culinaire de la chose: c'est fade, et il aurait fallu un cuisinier un peu doué et une sauce autrement plus goûteuse pour tirer quelque chose de cette calamité pelliculaire. Ce Salomé-là ne fera perdre la tête à personne.

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