I Bury the Living

Genre : suspense à épingles

Fiche technique

Revue : Marc Madouraud

I bury the living... Pourquoi enterrer le living, et pas la cuisine ou la chambre à coucher du gamin, me direz-vous ? C'est ce que vous apprendrez en... lisant ce qui suit.

Dans une petite ville de province américaine, Bob Kraft, interprété par un Richard Boone aussi grognon que d'habitude (je suppose que pour obtenir cet effet, le réalisateur devait lui piquer sa bouteille de whisky avant les prises, d'où son air ronchon), est le - relativement - jeune directeur des grands magasins locaux. Il a tout pour être heureux : une jolie fiancée, de la fortune et une bonne réputation. Mais sa situation et les traditions familiales lui donnent des devoirs : notamment de siéger bénévolement au comité directeur du cimetière, et même, cette année, d'en être le directeur. Peu emballé, Bob finit par accepter, assuré que cette charge ne lui coûtera que quelques heures par mois.

Au cimetière, il est accueilli par un vieillard bonnasse mais un peu étrange (Théodore Bikel, qui en fait des tonnes dans le rôle du vieil Ecossais excentrique), Andy McKee, le gardien du cimétière, aussi bien fossoyeur que graveur de pierres tombales. Après avoir appris qu'on compte le mettre en retraite - en conservant son salaire - bientôt, Andy lui fait visiter les lieux, et notamment la grande cabane qui sert de bureau. L'objet le plus remarquable y est une immense carte qui couvre l'un des murs. Cette carte, qui comporte un curieux motif géométrique en guise de délimitation, reproduit en miniature le cimetière et est divisée en une multitude de cases représentant chacune une concession. Une case marquée d'une épingle à tête noire signifie que l'emplacement est déjà occupé par un défunt, une épingle blanche que le propriétaire est toujours vivant.

A ce moment, un couple de jeunes mariés arrive en voiture. Pour satisfaire le vœu - un peu macabre - d'un de leurs parents, ils viennent réserver une concession. Souriant, Bob pique deux épingles sur la carte, mais, par erreur, emploie des épingles noires...

Peu de temps après, il apprend que le couple s'est tué dans un accident de voiture. En regardant la carte, il s'aperçoit que les cases sont marquées d'une épingle noire ! Probablement pour conjurer le sort, il plante une autre épingle noire au hasard, sur un emplacement réservé. Le soir même, il apprend que le propriétaire est mort d'une hémorragie cérébrale !

Secoué par ces hasards désagréables, il s'en ouvre à son ami le journaliste et à son oncle George, qui le rassurent tous deux. Goguenard, George l'oblige même à planter une épingle noire sur l'emplacement de la future tombe de leur avocat de famille, et lui promet que si quelque chose arrive, il acceptera sa démission du poste de directeur du cimetière.

Bien sûr, le pauvre avocat casse aussi sa pipe : infarctus. Bob est de plus en plus perturbé (on le serait à moins) : il se demande s'il ne disposerait pas de pouvoirs inconnus qui attireraient le mauvais sort sur les malheureux qu'il a choisis - d'ici qu'il ait marabouté à son insu le cimetière, y'a pas loin. Il confie même son malaise à un policier, qui lui assure que toutes les morts ont été parfaitement naturelles (si on peut classer comme " naturel " un accident automobile). Comme il est foncièrement honnête, il ne songe pas un instant à quels fabuleux avantages son présumé don pourrait lui offrir (l'élimination de la belle-mère, par exemple, mais il est vrai qu'il n'est pas encore marié).

Obsédé par ce qu'il ne croit plus être des coïncidences, Bob refuse désormais de démissionner. Son oncle et les deux autres membres du comité directeur, de concert, le forcent alors à planter des épingles noires sur leurs propres cases, arguant qu'il ne pourra pas y avoir trois hasards simultanés.

Et... Vous vous doutez de la suite ? Eh oui, les trois collègues passent de vie à trépas, et ce dans la même nuit ! L'enquête officielle, a priori, ne découvre rien d'anormal. Bob, évidemment, pète de plus en plus les plombs. L'inspecteur lui demande (décidément, tout le monde lui donne des ordres, à ce pauvre gars !) alors, pour infirmer sa thèse surnaturelle, de planter cette fois-ci l'épingle noire pour un type qui est en voyage à Paris. Bob s'exécute, inquiet.

Le soir, il se terre dans la cabane du cimetière et émet l'idée géniale de remplacer les épingles noires de ses " victimes " par des blanches. Son " pouvoir " va-t-il réussir à les ressusciter ? Quand il est près de s'endormir, il se trouve en proie à des hallucinations où il voit notamment la carte danser devant ses yeux. Le radiateur étant en panne, cet abruti ne trouve rien de mieux à faire que se mitonner un petit feu de camp en plein milieu de la pièce. Evidemment, dans un tel local clos, il est bien vite enfumé et doit sortir en plein air en catastrophe.

Il commence alors à baguenauder dans le cimetière pour reprendre sa respiration... et constate que les tombes du jeune couple sont vides ! Il court de concession en concession : tous les de cujus qu'il croit avoir tués ne sont plus dans leurs cercueils ! Il ne reste plus que des trous vides !

Alors ? Zombies on the Loose ? A-t-il réussi à fabriquer des morts-vivants à l'aide de simples épingles ? Cela serait bien plus économique que les pratiques vaudoues, plutôt longues et laborieuses.

Totalement affolé, en sueur, il court se réfugier dans la cabane et s'apprête à se tirer une balle dans la tête (George Romero n'était pas encore passé par là pour lui expliquer que c'était dans les caboches des zombies que l'on tirait une balle), quand le téléphone sonne. Il s'agit de la femme du gars parti à Paris, qui lui annonce qu'elle vient de recevoir un télégramme : son mari vient de décéder !

Arrive alors le vieil Andy, visiblement satisfait de l'état hagard de son patron. Il lui avoue que la mort du couple lui a donné des idées, et qu'il a lui même tué tous ceux que les épingles noires désignaient. (Comment a-t-il réussi à les faire passer pour des morts naturelles, là est la question...) Il voulait surtout se venger de Bob et des autres directeurs car ils lui enlevaient le bénéfice de toute une vie en voulant le remplacer ; le salaire n'était rien, pour Andy seul le travail pouvait donner un prix à l'existence. Il a aussi déterré tous les cadavres pour accélerer la psychose de Bob.

Soudain, Andy entend des coups de burin, comme si quelqu'un gravait l'inscription de sa propre tombe. Il commence alors à devenir cinglé à son tour, craignant que le couple ne revienne le tuer. Il barricade la porte, mais bientôt cette dernière est ébranlée, car quelqu'un tente manifestement de pénétrer dans le lieu...

Andy en meurt de saisissement, et s'affale sur la carte murale qu'il décroche à moitié. Des policiers entrent, et expliquent à Bob qu'ils soupçonnaient Andy des crimes, et qu'il lui avaient tendu un piège en faisant croire qu'un de ses concitoyens était parti à Paris. D'après eux, toutes ses victimes sont mortes de peur, tout comme lui...

Comme vous le voyez, " I bury the living " s'inscrit dans la droite ligne des " shockers " chers à William Castle, comme " La Nuit de tous les mystères ", " Mister Sardonicus ", " 13 Ghosts ", " The Tingler " et surtout " Homicide ", détonants mélanges entre films d'épouvante et thrillers à la Hitchcock.

Force est de constater que, si le postulat est foncièrement débile (vouloir faire croire que des couleurs d'épingle déterminent la mort, même en y ajoutant de fumeux pouvoirs paranormaux, confine au grotesque), le suspense fonctionne très bien. Cette lente plongée dans la folie d'un homme qui a, a priori, tous les atouts dans sa manche, est plutôt réussie.

Bien sûr, tout est loin d'être parfait : le personnage joué par Richard Boone s'inquiète bien vite et paraît trop sensible pour un gaillard d'apparence aussi solide. La succession de morts " naturelles " n'est également pas très crédible, car on peut se demander comment Andy a pu provoquer systématiquement des décès par pure frayeur. Mais le noir et blanc employé convient parfaitement à l'humour noir et au décor funèbre, et le rythme ne se démentit jamais.

Signalons enfin que le réalisateur n'est autre qu'Albert Band, mort tout récemment en 2002, dont la carrière de metteur en scène accumula les nanars de tout ordre, comme le faramineux " Zoltan le chien sanglant de Dracula " (1978), aux acteurs aussi peu concernés que les spectateurs, ou " Ghoulies 2 ", lequel permit d'ailleurs au monde ébahi d'apprendre qu'il y avait eu un premier opus. Toutefois, il reste avant tout connu comme producteur, et encore davantage comme père de producteur, en l'occurrence Charles Band, qui a financé quelques séries B intéressantes et surtout une multitude d'immondices divers sous différents labels, telles dernièrement les daubes bien léchées (dans tous les sens du terme) de David de Coteau.

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