Le dernier cheyenne

Genre : l'indien vaut mieux que deux tuyaux rares

Fiche technique

Revue : Marc Madouraud

Ou comment, à partir d’un thème relativement original au cinéma, donner à fond dans les clichés et le repompage.

Dans le Montana profond, trois prisonniers pour le moins violents (dont le toujours efficace Gregory Scott Cummins, troisième couteau de tant de films d’action, de «Batman» à «Switchback») s’évadent et gagnent la forêt, au coeur d’une région appelée l’Oxbow. Impuissant, le shérif local décide de faire appel, en dépit de leur inimitié bien connue, au meilleur pisteur (et chasseur de primes) du coin, Lewis Gates.

Après ce début à la Walter Hill, nous faisons connaissance dudit Gates, un personnage taillé en plein bloc de cliché massif. Cet excellent pisteur fut dans le temps marié à la fille du shérif, laquelle se noya, par accident, dans une rivière, sans que son mari ne puisse la sauver. Depuis, le père en veut à mort (et sans trop de raison) à son ex-gendre, et Gates lui-même, se sentant coupable d’avoir survécu, a sombré dans l’alcool. Bourré comme un coing, il est capable de dormir sur un billard dans les bars avant de s’affaler par terre, le matin, quand il est réveillé en sursaut. Il vit en solitaire avec son chien Zip, un corniaud visiblement plus intelligent que lui.

Pour ne rien arranger, Gates est interprété par un Tom Berenger hiératique et passablement bouffi. D’accord, le rôle, celui d’un pochetron bougon, commande une certaine inexpressivité, mais j’avoue toujours préférer Berenger dans ses compositions de salauds («Platoon», par exemple). De toute façon, je ne vois pas comment il aurait pu se dépêtrer de cet archétype du héros looser-ivrogne-bourru-au-grand-coeur, dont la rédemption ne pourra se réaliser que suite à quelque exceptionnel événement.

Forcé par le shérif qui le menace de retombées judiciaires pour des peccadilles, Gates accepte la mission et s’en va baguenauder à cheval, accompagné de son clébard, dans l’Oxbow. A contrecoeur, car il n’avait manifestement pas une grosse envie de pister. Le soir venu, il se couche pour prendre du repos, confiant qu’il coincera le trio quand il voudra. Puis il repart en route en pleine nuit.

A ce moment, deux des trois évadés se réveillent : l’un a entendu un bruit suspect. Voyant une forme lointaine, celui qui a une arme tire dessus. Soudain, ils semblent cernés par des présences invisibles. Un cavalier à cheval passe près d’eux, sans qu’ils puissent distinguer ses traits. Tous deux d’étalent au hasard. Le gars armé (Cummins) retrouve son copain un peu plus loin, mort. Lui-même, dans une clairière, défouraille à tout va, mais se fait planter par... une flèche ! Cette séquence à la «Prédator» (un ennemi invisible tue un groupe d’hommes en pleine forêt) est sans doute la meilleure du film, bien qu’elle soit filmée assez maladroitement, sans aucun punch ni grand suspense.

Gates, alerté par les coups de feu, arrive peu après. Il ne retrouve rien d’autre qu’un bout de veste ensanglantée et une flèche étrange. A son retour, il se fait enguirlander par le shérif qui refuse de croire à son histoire. Intrigué et vexé, Gates tente alors d’en savoir plus sur la flèche, seul indice qu’il a en sa possession. Il se met en quête d’un spécialiste de l’histoire indienne, le professeur Sloan. Il trouve le dit individu sur un terrain de fouilles archéologiques : nous avons bien sûr droit au bon vieux gag « où qu’il est le vieux schnock ? » alors que le professeur en question n’est pas un vieux barbon mais une charmante jeune femme, ici prénommée Lilian (Hershey).

Autre gag un peu meilleur, sinon d’anthologie : Zip pique un gros os à un assistant qui venait de le déterrer et décampe à travers le camp. Tordant. Le prof écoute d’une oreille distraite les explications de Gates et tente de le rembarrer. Mais le pisteur est persévérant et relance même la jolie universitaire jusque dans sa cabane en rondins. Lilian finit donc par lui expliquer que cette flèche est Cheyenne et était le signe distinctif de certains guerriers particulièrement braves, les hommes-chiens, de vrais kamikazes qui restaient à l’arrière pour protéger le reste de la tribu quand elle devait fuir.

Elle lui raconte aussi une anecdote intéressante : une poignée de ces hommes-chiens, avec femmes et enfants, avait fui dans le Montana quand leur tribu, pourtant partisane de la conciliation avec les blancs, avait été traîtreusement exterminée dans les années 1860. Les fuyards avaient été traqués, mais s’étaient perdus dans la montagne ; on avait alors estimé qu’ils étaient morts de faim et de froid. Toutefois, quand Gates évoque devant le professeur la possibilité d’une survivance de ces indiens, elle réfute l’hypothèse farouchement. (Z’avez remarqué, ils sont toujours cons comme la lune, les savants au cinoche : c’est toujours le plouc de base qui a raison, pas eux.)

Dénégations qui n’empêchent pas Gates de continuer ses investigations. Il apprend ainsi une autre anecdote, plus récente. Voici quelques décennies, deux cheminots, à cent kilomètres de toute agglomération, avaient capturé un tout jeune indien qui ne parlait même pas Anglais. Le garçon s’était échappé pendant la nuit, sans que nul ne sut d’où il venait. Par ailleurs, il découvre qu’au fil des années pas moins de dix-sept personnes ont disparu sans laisser de traces dans l’Oxbow.

Finalement, Lilian accepte d’aller faire un tour à cheval dans l’Oxbow avec Gates (ben heureusement, sinon le film aurait tourné court). S’ensuivent les inévitables scènes de bivouacs et d’engueulades. N’est pas oubliée la sempiternelle chute accidentelle le long d’une falaise, à laquelle les héros échappent de peu – c’est même le chien qui les sauve, brave bête.

Tout aussi inévitable : la rencontre tant attendue avec la mythique tribu indienne. Au moment où la prof voulait rentrer, les descendants des hommes-chiens apparaissent et les cernent, farouches comme aux premiers âges. Visiblement, ils ont envie de larder de flèches les deux blancs, mais Lilian les interloque en leur parlant Cheyenne (enfin, je crois, ne connaissant pas cette langue). Ils se rattrapent sur le chien, blessé d’une flèche (film rigoureusement interdit à Brigitte Bardot). Gates leur promet alors de leur garder un chien de sa Cheyenne. Ligotés, traînés par une corde, les deux blancs sont ramenés au camp indien de façon plutôt brutale.

Vous vous doutez de la suite. Le bon gars bourru et la gentille universitaire parlant Cheyenne vont peu à peu amadouer les natifs américains. Le déclic se fait quand Gates propose d’aller chercher des médicaments à la ville pour sauver un jeune indien qui a été grièvement blessé par un des évadés du début du film (faut suivre). La vie de Lilian répond de son retour.

C’est là que le scénario se met à déraper dans le n’importe quoi (faut dire aussi que, si tout s’était passé logiquement, le spectateur aurait fini par s’assoupir). De retour en ville après une traversée difficile de la forêt (le cheval sauvage qu’il a dû monter lui a moitié éclaté la gueule dans des branches), Gates, au lieu de poliment demander de la pénicilline au pharmacien et de la payer, sort son revolver et lui extorque avec une certaine rudesse. L’adjoint du shérif (le gars qui jouait l’autiste dans le premier «Cube») se fait cogner pour avoir tenté de l’intercepter et le shérif lui-même prend un grand coup de crosse de winchester dans le pare-brise quand il le rejoint en voiture.

Je veux bien que Gates soit un peu bourrin (c’est le cas de le dire), mais à un tel niveau de connerie il atteint des sommets. D’autant que, s’il réussit à s’échapper, le shérif décide de le rejoindre, quitte à monter une expédition. Fouillant dans les affaires du pisteur, il trouve des indications qui le mènent tout droit vers l’Oxbow. Et voici toute une bande de justiciers qui part à son tour à cheval.

De retour au village, Gates remet le médicament à Lilian, qui peut soigner le blessé. La guérison de celui-ci leur accorde à tous deux toutes les faveurs de la tribu. Gates joue avec les gosses, Lilian papote avec les squaws. Ils sont alors tout à fait acceptés, sans qu’on ait droit aux rituels barbares d’ «Un homme nommé Cheval». Ils font même connaissance avec le jeune indien – maintenant bien vieilli – que les cheminots avaient jadis attrapé. Seul bémol : Gates découvre une sorte de cabane où sont entreposés les restes et les affaires de tous les blancs que les Indiens, pour leur propre sauvegarde, ont dû éliminer depuis plus d’un siècle. Mais ça n’empêche pas tout de même pas ce petit monde d’être heureux ensemble.

Reste le problème de l’expédition « punitive ». Gates a même un affreux cauchemar (le spectateur ne sait pas qu’il s’agit d’un rêve au départ, ce qui donne une des rares idées intéressantes de scénario du film) où toute la tribu se fait massacrer à la mitrailleuse et au revolver, façon «Soldat bleu» revisité par «Apocalypse Now» (du fait de l’adjonction d’un hélicoptère). Les cavaliers se rapprochent de la vallée où campe la tribu et les Indiens deviennent inquiets.

Le pisteur prend alors une grave décision : il va tenter d’arrêter les intrus. Pour cela, avant de rouler un patin de la mort à Lilian dont il est tombé amoureux, il prend avec lui de la vieille dynamite qui traînait par-là. On s’apercevra un peu plus tard qu’il compte faire sauter un couloir montagneux qui doit boucher l’accès à la vallée où sont les Indiens – enfin, c’est qu’on comprend. Gates tente d’abord d’intimider les Rangers avec quelques balles bien placées, mais un collègue pisteur le surprend (il est décidément vraiment nul) et le remet aux policiers.

Toutefois, quand le shérif décide d’aller plus avant, sans le ramener séance tenante, Gates s’enfuit à cheval (les flics ne sont décidément pas très doués non plus), puis à pied, pour aller faire sauter le paquet de dynamite. Le shérif, qui l’a poursuivi, l’en empêche, mais son meilleur copain indien, de l’autre côté du couloir rocheux, envoie une flèche qui fait tout exploser. Gates et le shérif valdinguent en l’air, et vont tomber dans une rivière qui coule opportunément en contrebas. Le pisteur, qui a perdu entre-temps ses menottes (pratique quand même la dynamite) sauve son adversaire inconscient qui allait se noyer.

L’adjoint ordonne alors le retour à la ville. Quelques temps plus tard, le shérif, remis, est revenu à de meilleurs sentiments envers Gates – il a compris que son ancien gendre lui a sauvé la vie – lui annonce que personne ne portera plainte contre lui et qu’il est libre. Il tente bien d’en savoir plus sur l’Indien qu’il a aperçu, mais n’obtient aucune réponse.

Et, pour rester dans le connu, la fin du film lorgne alors outrageusement vers «Les Horizons perdus», célèbre lost-race novel de James Hilton, plusieurs fois adapté au cinéma (dont l’une par Capra). Notre héros repart retrouver ses amis les Indiens, ce en plein hiver. Et, apparemment, sans franchir de montagne ! Aussi peut-on se demander quel était l’intérêt de faire sauter le couloir rocheux...

Toujours est-il que Lilian, Zip et toute la tribu sont heureux de le retrouver. Moi prédire chaude soirée sous tipi : Calumet Moustachu va entamer grande danse de guerre avec Canyon Poilu. Ugh ! Hawaya, hawa hawa, hawaya !

Bon. La tribu indienne perdue doit être un thème assez peu usité au cinéma, même si, probablement, quelques « weird westerns » l’ont employé dans le temps, lui rajoutant un décorum aztèque ou inca pour en accroître la crédibilité. L’idée n’est donc pas inintéressante et donne donc un réel charme au film, notamment dans sa première partie, où le mystère, égayé par quelques anecdotes historiques, est relativement prenant, même si l’on n’a guère de doutes sur le déroulement de la suite.

Non, ce qui est gênant, ce sont les deux mots d’ordre apparents : repompage et clichés.

Repompage, car «Le Dernier Cheyenne » profite déjà outrageusement de la mode indienne ethno-écolo lancée par «Danse avec les loups» de Costner. Et que, tout au long du film, on reconnaît les emprunts scène après scène. L’attaque des évadés emprunte à «Prédator» ; le rôle du shériff qui s’en prend obstinément au héros renvoie directement à celui de Brian Dennehy dans le premier «Rambo» ; jusqu’au final calqué, comme je l’ai souligné, sur «Les Horizons perdus».

Clichés ? Tous les personnages ne sont que des modèles archétypaux directement piqués sur tous leurs prédécesseurs cinématographiques. Même Barbara Hershey, avec tout son charisme, a du mal à faire vivre son anthropologue stéréotypée, tiraillé entre ses certitudes professionnelles et ses espoirs romantiques. De même, rien ne nous est épargné sur le plan des scènes : la presque-chute de la falaise, les relations conflictuelles puis plus cordiales entre les deux blancs, le sauvetage de l’Indien blessé, le revirement du shérif, etc.

En plus, tout le film baigne à ce point dans les bons sentiments que cela en devient également incommodant. J’avoue pour ma part, ayant gardé un côté fleur bleue, apprécier les happy ends. Mais point trop n’en faut. Ici, tout le monde trouve sa rédemption, voit ses mauvaises actions excusées, pardonne à l’autre, et ainsi de suite. Ca dégouline de guimauve à fond. D’autant que le réalisateur évite soigneusement tout gore, toute violence, tout sexe (juste un baiser entre Berenger et Hershey). Paraît que le réalisateur-scénariste est un ancien de chez Disney : ça se sent. Cela nous donne un produit aseptisé et finalement assez articifiel, malgré les superbes décors, un comble pour une oeuvre censée célébrer la nature...

Retour à la page BIS