La prisonnière

Genre : film choquant pour les moins de 8 ans

Fiche technique

Revue : Michel Pagel

Hein ? Quoi ? Comment ? Classer Clouzot, un réalisateur dont même Télérama dit du bien, dans les nanars ?
Ben oui.
Entendons nous bien, j'ai le plus grand respect pour le Clouzot de "L'Assassin habite au 21", "Le Corbeau", "Les diaboliques", "Quai des Orfèvres", "Le Salaire de la Peur" ou même "Les Espions". L'homme avait du talent, c'est indéniable. Sur ce coup-là, cependant, son dernier film après presque dix ans d'inactivité, il s'est à mon humble avis planté.

Voyons l'histoire. Josée (Elizabeth Wiener) partage la vie de Gilbert (Bernard Fresson), un artiste d'avant-garde qui expose ses oeuvres dans la gallerie tenue par Stan (Laurent Terzieff). Stan, personnage étrange, volontiers sinistre, est à temps perdu photographe, une de ses spécialités étant de faire poser des jeunes femmes dévêtues dans des postures de soumission. Fascinée par lui, Josée commence par assister à une séance (qui nous permet de découvrir les charmes de Dany Carrel, laquelle supplée une Elizabeth Wiener plutôt avare en ce domaine) puis pose elle-même, partagée entre le plaisir et la honte que cela lui inspire, et finit par tomber amoureuse de Stan. Ce dernier, à qui l'amour fait visiblement peur, la laisse tomber. Josée, bouleversée, a un grave accident de voiture, à demi volontaire, et le spectateur, à la fin du film, ignore si elle s'en tirera et dans quel état. Point final.

Disons-le tout de suite pour ne pas être accusé de partialité, le film possède des qualités. D'abord, il n'est pas ennuyeux, ce qui, avec un acteur intello comme Terzieff dans la distribution, mérite d'être signalé. Ensuite, l'interprétation est excellente, avec, en ce qui me concerne, une mention spéciale à Bernard Fresson, impeccable de naturel, dans un rôle hélas assez peu développé. Enfin, ma foi, Clouzot sait manier une caméra, nul ne le dispute.

Le problème est de fond, pas de forme. D'abord, comment ne pas rire en voyant cette jeune femme prétendûment libre ("Avec Gilbert, on a un accord : chacun fait ce qu'il veut de son côté, mais on se dit tout.") se faire tout un monde de poser nue, même pour des photos vaguement sado-maso, qui en plus ne sont pas destinées à être publiées ? Je dis "vaguement" et tout est là. Car les photos, on nous les montre, et on n'aurait pas dû. Sans qu'elles soient tout à fait idéales pour servir d'images à l'école communale, elles ne renferment franchement pas de quoi fouetter un chat. Pas de chaînes, pas de fouets, tout juste de la nudité et une suggestion de lesbianisme (vague, encore). Qu'on tente de nous faire passer ça pour une terrible perversion laisse rêveur. Ensuite, le personnage de Stan ne tient pas franchement debout non plus : voilà un type qu'on nous dit torturé, pervers, qu'on nous présente comme une sorte de génie du mal. Ahem… moi, je le trouve plutôt sympa, ce mec. Il a des goûts sexuels qui le regardent, mais il ne force personne, et si Josée n'insistait pas, il ne la ferait même pas poser pour lui. En plus, quand ils font l'amour, on ne voit pas bien, mais ça ressemble plus au missionnaire qu'aux trucs les plus acrobatiques du Kama-Soutra. Pour trouver une ombre de perversion là-dedans, il faut se lever (ou se coucher) de bonne heure. Ensuite, à la fin, quand il largue Josée en comprenant qu'elle est amoureuse de lui, on apprend qu'en fait, il l'aime aussi et qu'il a tenté de se suicider. Bougez pas. On parle du même homme, là ? Il n'était pas censé être dépourvu de sentiments ? Mais admettons qu'il se fasse piéger par un amour qu'il n'attendait pas, ça arrive, pourquoi la largue-t-il, à ce moment-là, alors qu'ils pourraient être heureux ensemble, à échanger des remarques imbéciles sur l'art moderne et à faire des photos cochonnes ? Ou alors, il la quitte parce qu'il a peur de la faire tomber encore plus profondément dans la perversion, mais là, on en revient au problème précédent : quelle perversion ?

A mon sens, "La Prisonnière" est l'oeuvre d'un metteur en scène bourgeois, horrifié par ce qu'il croît être le mal et tentant de nous assener une morale pontifiante (il y a même la punition finale de la méchante) tout en se donnant des allures de provocateur parce que c'était la mode.

Mais, me direz-vous, en 1968, il ne pouvait pas aller trop loin. Faux : la même année, sur un sujet comparable, Jess Franco sortait "Venus in furs" (rien à voir avec Masoch), un de ses meilleurs films, nettement plus audacieux. L'année précédente, il avait tourné "Necronomicon", également comparable et également plus audacieux. La même année toujours, aux Etats-Unis, Ray Dennis Steckler tournait "Sinthia, the devil's doll", un nudie basée sur la psychanalyse et parsemé de nombreuses scènes psychédéliques du même acabit que la séquence de rêve de "La Prisonnière" (assez réussie, au demeurant). Le film de Steckler, outre qu'il était bien plus violent et érotique que celui de Clouzot (pas dur) était en outre nettement plus cohérent du point de vue des personnages.

Oui, mais, Jess Franco, c'est du nanar ! Oui, mais, Ray Dennis Steckler, c'est du nanar ! Ben je suis désolé, mais dans ce cas-là, Clouzot aussi. (Répétons-le : pour ce film et pour ce film seulement.)

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