Le mort dans le filet

Genre : Robinsonnade arachno-gigantesque

Fiche technique

Revue : Marc Madouraud

Vous l'avez rêvé, je l'ai fait: le résumé de Le Mort dans le filet. Mais, après, faudra pas venir vous plaindre...

Ah, Le Mort dans le filet ! Rien que la traduction française du titre est marquée au coin de la débilité : employer « filet » au lieu de « toile » dénote une fameuse couche de connerie crasse. Mais il est vrai que le métrage lui même était une heureuse source d'inspiration aux inepties de tous ordres. Le Mort dans le filet, puisque filet il y a, appartient à la race des films arachnophiles, genre velu et poilu aux pattes qui donna quelques chefs-d'oeuvre du nanar tels « Tarantula » où le gigantisme se compliquait d'acromégalie (comme Rondo Hatton était mort, c'est Léo G. Carroll qui s'y était collé, mais en trichant, le fourbe !) ou l'immortel « L'Invasion des araignées géantes ». Toutefois ma daube fétiche demeure « Mesa of Lost Women », inoubliable délire de 1953 où l'ex-kid Jackie Coogan transformait des pin-ups en araignées (plutôt con le gars, car s'il avait fait le contraire il aurait fait fortune recta, ses protégées auraient-elles eu du poil sous les bras). Pour en finir sur le chapitre « culture, nanar et arachnides », nous devons mentionner que « Le Mort dans le cabas » (euh non, le filet) relève de l'espèce fort rare de la robinsonnade arachnoïde, qui donna à la littérature l'excellent « L'Araignée de l'île » de Paul Jouvet. Un Crusoé moderne devait survivre sur une île habitée par des araignées géantes carnivores.

Bon, passons aux choses sérieuses. Quelque part dans une grande ville, un troupeau de jeunes filles, belles quoiqu'un peu vulgaires, patientent dans une pièce. Non, ce ne sont pas les estimables salariées d'une maison dite aussi communément que pudiquement « de rapport », mais des danseuses auditionnant à tour de rôle pour une tournée internationale (je précise que ce sont des danseuses style cabaret, et non des petits rats de l'opéra ; dommage car des rats auraient pu dévorer l'araignée au lieu... enfin, je m'égare). Les jeunes filles font donc un numéro devant Gary (joué par le cosmopolite Alex d'Arcy, vétéran fort bien conservé) imprésario bellâtre et sûr de lui, qui choisit parmi le cheptel les plus sexy des candidates, dont l'affriolante Babs (Barbara Valentin, sorte de mélange entre Susan George et Pamela Anderson).

Gary et les huit jeunes filles, dont son assistante et maîtresse, Gaby, s'embarquent dans un vol pour Singapour. Manque de bol (pas pour le spectateur qui, dans le cas contraire, serait mort d'ennui à contempler la tournée), le moteur de l'avion prend feu - jolies vues de maquette pas crédibles pour un sou - et tout ce petit monde tombe dans l'océan. Evidemment, Gary et son harem se retrouvent dans un canot de sauvetage (quid de l'équipage et des éventuels autres passagers, nul ne le saura jamais : un peu cavalier pour ces braves gens, non ?)

Le spectateur se demande déjà : qui va être mangé... et quel morceau ? Raté. Les légitimes inquiétudes des canoteurs de dissipent vite quand une île apparaît au lointain. Joie générale et, après quelques pagayages soutenus, abordage sur l'île. Le matin suivant, Robinson et ses huit Vendredinettes commencent à explorer leur nouveau territoire : ils découvrent une source (d'eau, seulement), puis un marteau, preuve indéniable d'une activité humaine présente ou passée (c'aurait pu être une petite culotte ou un vibro-masseur, mais un banal marteau fait fort bien l'affaire comme témoignage de la civilisation). Pourtant les griffes noires de l'angoisse viennent égratigner la peau rose et dodue de leur félicité : un bizarre sifflement, d'origine indéterminée, se fait entendre.

Prochaine découverte : une cabane, hélas occupée par un cadavre bien conservé - la bête ne semble pas avoir beaucoup d'appétit - suspendu dans une toile d'araignée géante. Alors que les filles opèrent une débandade générale (et débander, vous en conviendrez, n'a rien d'amusant en présence d'aussi appétissantes pépées), Gary, animé d'un esprit civique qui l'honore, décroche le macchabée. Pendant ce temps, au dehors, un animal bizarre s'approche des filles dans l'ombre : une sorte de grosse araignée, fruit d'une sordide union entre un crabe japonais et un monstre caoutchouteux du même pays. Mais comme Gary a fait le ménage de printemps en virant le peu ragoutant occupant, tout le monde réintègre la masure. Gary et sa copine apprennent dans le journal qu'il tenait que le précédent locataire était un professeur venu faire des recherches.

La vie reprend et les huit nanas s'occuppent du remplissage de l'intrigue, c'est-à-dire : chamailleries, crépages de chignons et séances de maquillages. Gary, peu concerné, part se promener dans la nuit et reçoit sur le dos l'araignée sauteuse (j'oubliais qu'elle devait avoir une sauterelle dans son ascendance) qui le mord cruellement au cou. Il la tue - pauvre bête - d'un coup de revolver, mais se transforme peu après en monstre assez hideux (enfin, les mains et la tête, le budget n'est pas extensible à l'infini) : lupus facial prononcé, dentier proéminent, yeux exorbités, papattes griffues. Rien du play-boy, quoi. Son nouveau make-up semble lui porter sur le système, car il part baguenauder en grognant.

Le lendemain matin, les filles partent chercher le disparu, sans rien voir - mais le spectateur, finaud, aperçoit par-ci par-là une main griffue qui sort timidement d'un fourré. Le monstre, moyennement doué, parvient quand même à en étrangler une qui s'était isolée. Dans la nuit, nouveaux crépages de chignons et crises de nerfs. On a droit pour le même prix à quelques tétons à l'air, scène que l'on subodorait depuis longtemps. Réapparition des mains griffues, sans conséquence. Et voilà que, alors que les sept rescapées se languissaient d'un bateau, surgissent deux jeunes rigolos, plutôt décontractés, abordant en barque une crique voisine : il s'agit des deux assistants de feu le professeur, ignorant tout du sort de leur patron. Chacun va se promener de son côté et, inévitablement, rencontre certaines des filles. Signalons au passage que le cadavre de la grosse araignée a été découvert, non sans un dégoût perceptible.

Une nouvelle séance d'allégresse générale commence. Les filles, émoustillées par la présence des deux nigauds (très portés sur la chose, évidemment), leur font toute une série de danses sexy. Les deux prospecteurs d'uranium (nous apprenons ça incidemment, ce qui pourrait laisser croire que la bêbête extra-large aurait été irradiée, expliquant ainsi son comportement asocial) lutinent les filles : Joe, intègre, s'intéresse à la candide Anne, tandis que Roby, plus déluré, butine de blonde en brune. La fête bat son plein et les deux amis, excessivement bas de Q.I., finissent par se battre pour une histoire de gonzesse, avant de se réconcilier dans la foulée.

Plus tard, l'une des filles, Gladys, part à la recherche de Roby et le trouve assassiné au pied d'un arbre, une marque de morsure dans le cou (notez la tendance nouvellement homophile de Gary : il étrangle les femmes et mord dans le cou les hommes). Le dit Gary apparaît et course la pauvre Gladys, jusqu'à la jeter du haut d'une falaise voisine. Joe, n'écoutant que son courage, se bagarre avec lui, mais finit par se réfugier dans la cabane avec Georgia. Alors qu'ils sont sur le point d'avoir le dessous (je ne parle pas de dessous en dentelles, bande d'obsédés !), ils découvrent que le monstre a peur du feu en lui mettant sous le nez une fusée de détresse - encore un scénariste qui a trop vu de films de Frankenstein. Gary, apeuré, s'enfuit, alors que Joe et les filles rescapées se mettent à le traquer, chacun et chacune tenant une fusée allumée à la main, dans un très joli effet pyrotechnique. La meute finit par l'encercler et à le mener dans un marécage (décidément on trouve de tout sur cette île : fontaine, source, crique, cabane, falaise, marais) où il s'enlise comme la première momie venue. Image finale : Joe et les filles repartent en bateau. Pas de bébé araignée à l'horizon, ni de discrète morsure dans le cou. Triste fin...

Le Mort dans le filet, c'est comme Truc-bidule qualité filtre : pas besoin d'en rajouter. Sa bêtise intrinsèque (ce qui n'est pas le cas de ses jolies protagonistes, d'avoir un train sec) suffit amplement sans que l'on rajoute des commentaires. En plus rustique, il se pose en pendant européen des « Mesa of Lost Women » et autres « She-Demons » américains, mélangeant avec plus de candeur que de bonheur horreur et érotisme ultra-soft.

C'est le garant d'un autre univers, quasi idyllique, où les garçons bombent la poitrine et les filles dévoilent la leur en des poses aguichantes alors que des monstres hideux circulent dans les environs. Parler de crédibilité est ici risible. J'aime bien les passages où le monstre planqué dans un buisson, comme un collégien rougissant épiant ses cousines plus âgées, effleure d'une timide griffe les naïades qui passent à proximité, alors qu'un peu plus tard il se rue dessus sans prendre le temps de leur demander si elles habitent encore chez leurs parents. Pas besoin de creuser bien loin pour trouver les lacunes de l'intrigue. Ainsi, pourquoi l'araignée s'est-elle contentée de tuer le professeur et de le coller sur sa toile, alors qu'elle mord Gary dans le cou, telle un Dracula au petit pied ?

Non, franchement, mieux vaut ne pas se poser de questions et apprécier ce petit film dans sa fraîcheur très sixties et son horreur bien naïve. Si, peut-être une : qu'est venu faire le cosmopolite Alex d'Arcy là-dedans, lui qui tourna avec Jacques Becker (La Kermesse héroïque), René Clair (A nous la liberté), Negulesco (Comment épouser un millionnaire, avec Marilyn) et bien d'autres grands noms encore comme Leo McCarey, Michael Curtiz, Gregory La Cava, Elia Kazan, Samuel Fuller, W.S. Van Dyke ?

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