Disco Godfather

Genre : fièvre du samedi noir

Fiche technique

Revue : Michel Pagel

Non, ce n'est pas une faute de frappe : j'ai bien écrit La Fièvre du Samedi Noir. Pourquoi ce pitoyable jeu de mots, me direz-vous ? Parce que le film dont je vais vous parler est un croisement entre deux genres bien définis : le polar de blaxploitation violent et la comédie musicale disco. J'ai nommé :

DISCO GODFATHER (aka AVENGING GODFATHER, aka AVENGING DISCO GODFATHER. Ça, c'est du titre alternatif !) de Robert Wagoner, 1977.

Rien qu'à son concept et à sa bande annonce endiablée, ce film semblait alléchant. Hélas, il s'agit plutôt d'une déception comme nous allons le constater.

Cependant, si vous avez toujours rêvé de voir Rudy Ray Moore, une espèce de Charles Bronson noir, tortiller son gros cul moulé par des pantalons à paillettes ridicules, c'est probablement la seule chance que vous ayez d'y parvenir. Rudy, soyons net : il est plutôt sympa, relativement convaincant quand il joue des poings, mais ce n'est franchement pas un danseur — ce qui n'est pas très grave, car ses prestations en la matière demeurent au niveau du minimum vital. Ce n'est malheureusement pas tellement non plus un acteur, ce qui est plus embêtant. En tout deux expressions : le grand sourire Gibbs et une autre qui lui sert pour exprimer aussi bien le chagrin que la colère ou la perplexité. En plus, il anonne son texte comme s'il le lisait, à un point que c'en est agaçant. Et c'est le héros, donc on l'entend beaucoup. Cela dit, les autres membres de la distribution (entièrement noire, à l'exception de quelques rôles secondaires : deux flics, un tueur...) ne sont guère mieux lotis en la matière.

Bref, entrons de plain-pied dans le vif du sujet.

Le générique se déroule sur fond de musique disco de base. Vraiment de base, même à l'échelle du disco. Hélas, ladite musique ne s'arrête pas avec le générique, car le film s'ouvre sur une scène de boîte de nuit. Pendant dix minutes, nous assistons à des numéros de danse (avec de bons danseurs, au demeurant, mais bon) et retenons notre premier bâillement. La scène nous permet tout de même de faire connaissance avec notre héros, Tucker, un ex-flic désormais patron de la boîte en question, où il officie aussi comme disc-jockey sous le délicat surnom de Disco Godfather. Nous rencontrons aussi son neveu, Bucky, que le méchant Richie pousse à prendre une nouvelle drogue connue sous le nom de PCP, ou "Angel Dust". Bucky, comme quiconque essaie une nouvelle drogue dans un film de ce genre-là, fait immédiatement une crise de délire carabinée et est conduit à l'hôpital le plus proche. Tucker s'y rend à son tour le lendemain et se fait expliquer par un médecin tous les dangers du PCP. Convaincu qu'il s'agit d'une menace pour la jeunesse, un fléau qui détruira toute la prochaine génération (sic), il décide de lancer une grande croisade contre la poudre d'ange.

Rendons-lui cette justice : moins impulsif qu'un Bronson, il commence par monter une association, le plus légalement du monde, afin de sensibiliser la population au fléau. C'est très louable de sa part, mais ça manque un peu de baston et de poursuites en bagnoles, si vous voyez ce que je veux dire. Bref, on s'emmerde. D'autant que toutes ces scènes de discussions, de meetings, etc. sont entrecoupés de numéros de danse sans intérêt qui ralentissent encore l'action.

Comme la sensibilisation ne suffit pas, Tucker monte ensuite une milice qui se charge de contrôler les gens suspects dans les rues. Tout ça avec l'assentiment tacite de la police, bien sûr.

Le gros dealer de l'histoire, Stinger, un homme d'affaires véreux, commence à trouver que ça sent le roussi et envoie des tueurs à notre héros. Evidemment, ils manquent leur coup, et se font illico descendre par des flics brusquement apparus dans la boîte de nuit — et qui disparaissent tout aussi vite. Vrais ? Faux ? On ne le saura pas tout de suite. Ensuite, Stinger commet l'erreur que commet tout bon gros méchant qui se respecte : il fait tuer une personne que le héros aime beaucoup — dans le cas qui nous occupe, le vieux type qui a élevé Tucker. Evidemment, à partir de là, ce dernier pète les plombs et passe à l'action violente. L'interrogatoire d'un jeune drogué (le Richie du début) permet à Tucker de se rendre compte que c'est lui qui a intoxiqué son neveu (alors que s'il avait posé la question à ce dernier, redevenu lucide depuis un moment, on aurait gagné une heure dix) et de remonter jusqu'à Stinger par l'intermédiaire d'un flic véreux (patron de ceux qui ont descendu les tueurs, donc).

Là, se situe une séance de la plus haute implausibilité. Tucker et ses copains flics coincent le ripou, lequel est retrouvé le lendemain matin dans sa propre salle de bains, alors qu'il vient de se suicider. Ils l'ont sous la main, ils ont des preuves suffisantes pour le coffrer, et ils l'ont laissé rentrer chez lui ? J'ai un peu de mal à y croire, j'avoue. Ou alors il y a eu une scène coupée au montage, mais c'est bien par charité que j'évoque cette possibilité.

Il y a autre chose qui m'inquiète, dans le même genre : à un moment, durant sa période "milice", Tucker s'introduit dans une villa qui appartient apparemment à Stinger, lequel est présent. Il ne s'y passe pas grand-chose, mais tout de même : plus tard, notre héros semble ignorer totalement qui est le dealer, puisque son copain flic est obligé de le lui expliquer. J'ai pas compris. Bref, quand il apprend que le ripou est mort, Stinger craint qu'il n'ait parlé, panique complètement et fonce à son entrepôt pour détruire toutes les traces de son négoce. On devine qu'il n'en aura pas le temps. Et maintenant, une petite litanie : Pourquoi Tucker, sans attendre la police, décide-t-il de foncer tout seul à l'entrepôt ? CDLS. Pourquoi tous les gardes du corps de Stinger sortent-ils un par un pour qu'il puisse les démolir ? CDLS. Pourquoi un de ses copains passe-t-il justement par là au bon moment pour lui donner un coup de main ? CDLS Pourquoi continué-je à regarder cette merde sans faire usage de l'avance rapide ? CDLS

Réussissant enfin à pénétrer dans l'entrepôt, Tucker affronte un combattant plus fort que lui (il faut toujours qu'il y en ait un) et est capturé. Attaché sur une chaise, il se voit coller sur la tête une espèce de masque à gaz, grâce auquel on lui fait respirer de force de la poudre d'ange. Avant que ne se fasse sentir l'effet de cette dernière, toutefois, il parvient à se libérer et à se débarrasser de son adversaire. S'ensuit une scène de délire comme on nous en a déjà présenté tout au long du film, chaque fois qu'un personnage prenait de la drogue. Je pense que le metteur en scène ignore le sens du mot psychédélique (car on nous précise bien que le PCP l'est) : il se contente de présenter des visions de personnages horrifiques, pas spécialement colorées, sur fond de musique spectrale et de hurlements du principal intéressé. Qui plus est, les mêmes images servent pour les délires de tout le monde, ce qui présente l'avantage d'économiser de la pellicule mais nuit un rien à la crédibilité de l'ensemble.

Croyant voir sa mère et, alternativement, une espèce de démone séductrice, Tucker s'enfuit à travers l'entrepôt et tombe sur Stinger, sur lequel il se jette pour l'étrangler en hurlant "Tu n'es pas ma mère !" (Je le jure ! C'est le seul moment vraiment drôle du film, d'ailleurs, et je soupçonne que ce n'est pas volontaire.) Là-dessus, les flics arrivent enfin mais ne parviennent pas à le calmer. On suppose qu'il redescendra un jour. Le film, cependant, s'achève sur son hurlement déchirant.

C'est pénible, dans l'ensemble. Deux combats et demi, à tout casser, et plutôt mal réglés. Pas de rythme. De la mauvaise musique. Des mauvais acteurs. Un mauvais metteur en scène. Même pas de fesse pour se réveiller.

Bon, si, allez, y a quand même une scène assez fabuleuse. A l'hôpital où on a emmené Bucky se trouve aussi une adolescente en proie au délire à cause du PCP. Sa mère, un pasteur et tous leurs copains se réunissent autour de son lit pour l'exorciser, chasser le démon qui est en elle, et ils commencent à psalmodier, à prier, à brailler, à l'invectiver ! Cette scène revient périodiquement au cours du film, en dépit de toute notion de continuité, pour bien nous inspirer l'horreur de la drogue. Malheureusement, ce que ça inspire surtout, c'est l'horreur du fanatisme religieux : rien que d'imaginer tous ces grands couillons en train de hurler et de tourner autour de cette pauvre fille en plein mauvais trip, j'en ai froid dans le dos. Oh, bien sûr, à la fin, elle reprend connaissance et tout le monde rend grâce à Dieu. Mais c'est un film. Un nanar, oui.

PS : L'honnêteté m'oblige à préciser que j'ai horreur du disco. Si ce type de musique vous branche, Disco Godfather vous fera sans doute meilleur effet qu'à moi.

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