Encart "Rats" /1 - 21/08/1996

Dossier 4.1

Bertrand masse son crâne endolori. Ses doigts rencontrent une croûte surmontant une intumescence en haut de sa nuque, son bras amolli retombe sur le béton brut. Il ferme les yeux pour rassembler ses idées, et prend une position un peu plus confortable.
Primo : Qu'est-ce qu'il fout là ? Il avait rendez-vous avec un type respectable pour un entretien professionnel, un travail qui consisterait à assister un chercheur dans une étude basée sur les rats. Après avoir attendu quelques minutes dans un grand local bien propre, il avait gravit quelques marches vers un bureau « 24T » et avait senti une odeur douce, puis avait chuté en arrière.
Secundo : Où est-il ? Il se trouve dans une petite pièce de quelques mètres carrés, sans aucun meuble, fermée par une grosse porte de métal et dans laquelle on a déposé un seau. Aucun bruit ne lui parvient. Un minuscule soupirail au ras du plafond, bloqué par une grille, dispense une lueur fade sur les murs inestétiques.
Tertio : Quel faire ? Attendre...

Bertrand Layeu est un de ceux qui cherchent toujours à voir au-delà du problème avant de le résoudre. Il anticipe, calcule, soupèse avec une logique implacable et excelle dans l'art de soutenir une discussion au centre d'un raisonnement sans faille. Après quelques études en biologie, en physique, en chimie et en lettres, avortées bien avant terme pour « incompatibilité de caractère avec le personnel enseignant », il saute d'un job à un autre avec une aisance de fauve. Sa réputation n'est plus à faire dans le milieu scientifique de Montpellier, et les pros de la recherche aiment travailler avec lui, même lorsque ses connaissances sont insuffisantes.

Il dresse l'oreille, car un bruit répercuté par l'écho du couloir vient de lui parvenir. C'est celui d'un chariot à roulette qu'on tire. Quelques pas nerveux suivent, puis plus rien.
Le problème, actuellement, est qu'il n'y a rien à faire. C'est après un rapide examen de la porte que Bertrand en est convaincu : elle est épaisse et sans serrure, fermée de l'extérieur apparemment par une barre de fer transversale. Le soupirail, quant à lui, est trop haut et trop petit. De plus, il ne sert probablement à rien d'hurler, car personne n'est assez stupide pour enfermer quelqu'un près d'une habitation. Donc, attendre...
Fort de cet examen des lieux, Layeu se laisse glisser dos au mur jusqu'au sol, et reste assis à méditer. Il se convainc de penser à autre chose qu'à sa situation actuelle, car il n'a que très peu d'éléments pour analyser.

Il fixe ainsi son esprit sur un débat, visionné la veille (ou peut-être il y a deux jours : il ignore combien de temps a duré son inconscience car sa montre a disparu) où plusieurs éminents sociologues devisaient sur le problème du chômage et de la crise en général. Leurs idées sont, sous des dehors différents, à peu près toujours les mêmes : on avance à très petits pas vers des solutions qui entraînent d'autres problèmes et il faut choisir entre mauvais choix ou stagnation à dominante négative. On crie au scandale lorsqu'un illuminé trouve une solution dont les principes sont immoraux, alors même que la société est immorale. Pour Bertrand, le problème reste, avant tout, l'être humain... Quand il devient manifeste que l'être humain est en trop sur la planète, les solutions sont forcément désagréables à envisager. En cette année 1998, tout ne fait qu'empirer chaque mois, la surpopulation s'annonce dans les statistiques prévisionnelles pour les dix années à venir. Le réchauffement de la planète a été accéléré par diverses catastrophes dues à la négligence. Malgré cela, la vie suit son cours comme si de rien n'était, le progrès fait son chemin en emportant avec lui chaque jour un peu de la Terre. Triste avenir qui s'annonce, avec comme choix un contrôle des naissance ou une avancée de la mort (la science a permis d'avancer les espérances de vies jusqu'à 90 ans pour les femmes et 87 ans pour les hommes). Chacun se masque la vérité pourtant, et les dirigeants des plus grands pays continuent leurs affaires mesquines en pensant aux mois prochains, mais jamais aux siècles à venir. Un bruit de pas. Le même que tout à l'heure, accompagné d'un fredonnement du Boléro de Ravel qui semble coller au rhytme des chaussures. Il se rapproche.

Bertrand se lève, et tente de se calmer. Ne pas crier, ne pas taper dans la porte. Les pas stoppent devant la porte de fer, et un frottement métallique se fait entendre. La porte joue sur ses gonds, vers l'intérieur.

- Haaa ! Jeune homme, je suis confus !

La silhouette qui s'encadre dans l'ouverture est banale. C'est un scientifique, ni gros ni maigre, ni vieux ni jeune, avec l'air de débarquer de Vénus. Des cheveux clairsemés, vestiges du port d'une panoplie de chirurgien, agrémentent un visage quelque peu ingrat sur lequel on ne peut rien lire.

- Mes plus plates excuses, vous êtes victime d'un malentendu !

- Un malentendu dans un cachot ? raille Bertrand, un rictus animal aux commissures.

- C'est effectivement une espèce de cachot, reprend l'homme après avoir toussoté, mais vous ne devriez pas y être. Mon gardien vous a pris pour un voleur, car je ne l'avais pas prévenu de notre rendez-vous, que j'avais oublié. Je suis le docteur Tzentch. Je viens juste de revenir d'un voyage, et j'ai accouru pour vous délivrer.

Le type à blouse reprend son souffre, attendant de voir sur le visage de son interlocuteur une réaction de soulagement. Mais niet, le jeune homme reste impassible et lache simplement :
- C'est faux.

- Comment ? articule le mec banal, visiblement interloqué.

- Vous êtes venu il y a environ une heure, j'ai entendu votre pas.

« Prend ça dans ta gueule, vieux con » pense Layeu tandis que Tzentch avale sa pilule. Un court silence se fait, pendant lequel chacun rumine.

- Bon, c'est vrai, je suis venu. Chuchote l'homme. Il fallait que je me change avant de venir vous voir. Vous me suivez ?

- Ça baigne.

« A charge de revanche... »

Les deux hommes empruntent le couloir dallé de plastique crème, éclairé au néon. Quelques portes fermées portent des étiquettes étranges, comme « Delta positif ». Des annotations qui ne riment sûrement à rien mais qui font « style science ». Le trajet se termine alors qu'ils pénètrent dans un bureau, où deux sièges en cuir président reçoivent leurs séants. Tzentch repousse un dossier vert et pose ses doigts sur son sous-main carte du monde, puis joue avec son coupe-papier en lorgnant Bertrand.

- Nous allons travailler ensemble. dit-il finalement.

- Il faudrait avant tout m'expliquer ce cirque... rétorque l'autre en désignant du menton la fenêtre étroite (on y voit une campagne verdoyante) J'étais en ville avant de me réveiller dans votre cave.
Le savant est visiblement satisfait.

« Soit il est givré, soit c'est moi... » médite Layeu.

- C'est parfait, ce que vous pouvez être perspicace. Je crois que les expériences vont se dérouler au mieux. Une petite question : dites-moi, en trois mots, ce que vous pensez du monde et de son avenir.

Bertrand ne réfléchit pas longtemps :
- TAS-DE-MERDE.

Tzentch agrandit son sourire :
- Vous êtes bien tel qu'on me l'a dit. Si ça ne vous dérange pas, nous allons commencer demain.

- J'aimerai bien savoir avant de quoi il s'agit. Travailler bêtement ne donne rien de bon...

- J'y viens. confirme Tzentch en croisant les doigts devant son nez. Nos labos ont semble-t-il trouvé un moyen d'éliminer pour de bon la vermine sur cette terre. J'attends de vous que vous confirmiez cette thèse.

- Une thèse et de la vermine ?

Le savant pose ses lunettes et empoigne un petit boîtier, puis fixe le jeune homme :
- Les rats.


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